Réinventer le management : le Buisson Ardent
Découvrez comment Dina Abitbol a transformé le management traditionnel d'un foyer en adoptant une approche collaborative, une première dans le médico-social!
Le contexte institutionnel
Le Buisson Ardent est un foyer de vie qui accueille 25 adultes handicapés venus de toute la France, ouvert 365 jours par an, 24h/24. J’y suis directrice depuis 6 ans, tandis que la cheffe de service en place depuis 15 ans prend sa retraite. Ce poste avait été conçu sur mesure pour elle.
J'embauche un chef de service très motivé pour cette tâche, mais il décide de déménager dans le sud-ouest au bout de 3 ans !!! Néanmoins, à son départ, en faisant le point sur son temps passé au Buisson Ardent, il me dit que le suivi du parcours médical des résidents, qui occupe une grande partie de son travail, ne lui plaisait pas beaucoup car il ne s'y sentait pas à l'aise compte tenu de sa formation d'éducateur spécialisé et de CAFERUIS. Je me lance alors dans un nouveau recrutement, optant pour une personne formée dans le domaine sanitaire. Cependant, au bout de 6 mois, nous mettons fin à son contrat de manière amiable, car cela ne se passe pas bien, tant pour lui que pour l'équipe.
Premier constat
Je me trouve face à une équipe stable et ancienne, qui maîtrise parfaitement le travail d'un chef de service. Une équipe qui tourne en rond et se plaint de cette routine, qui a besoin de nouveaux défis et de dynamisme dans son travail. Une équipe qui doit repenser son engagement envers les résidents, car le travail auprès des adultes handicapés mentaux peut être épuisant en raison de sa répétitivité, et les progrès ne sont souvent visibles que pour ceux qui sont très proches d'eux.
Deuxième constat
L'équipe a du mal à laisser de la place au nouveau chef de service, car elle estime en savoir plus sur le travail que lui. J’entretiens avec l’équipe depuis toutes ces années une relation de confiance mutuelle avec une communication fluide et honnête.
Compte tenu de ces constats et des expériences précédentes, je décide de changer de modèle. J'ai lu de nombreux ouvrages sur l'entreprise libérée, la sociocratie, l'holacratie, et souvent avec mes collègues directeurs, nous rêvions d'appliquer ces idées à notre secteur. De plus, je n'avais plus l'énergie pour entreprendre un autre processus de recrutement pour un chef de service.
Le projet
Proposer aux 8 membres de l'équipe éducative en CDI (ES, AMP, AS et ME) travaillant en journée d'enlever 3h de travail par semaine et en échange, de se répartir les 4 principales missions du chef de service :
- La planification
- L'annualisation et les congés
- Le suivi des activités et des projets personnalisés des résidents
- L'hygiène et la sécurité
Des petites missions complémentaires seront également réparties (accueil et suivi des stagiaires, gestion des repas, gestion des absences des résidents, mise en place du cahier de liaison, déploiement du dossier unique de l'usager, etc.). 3 autres mesures sont mises en place :
- Promouvoir la secrétaire de direction au rang de cadre de Classe 2, afin de permettre mon absence et de partager les responsabilités de la permanence, mais surtout de ne pas porter tout le poids seule.
- Engager une infirmière à temps partiel (10 heures par semaine) pour assurer le suivi médical.
- Embaucher un AMP pour remplacer les 3 heures de travail de chaque collaborateur (ce qui a permis d'ajouter du temps d'accompagnement).
Ma demande à l'équipe
- Travailler en binôme pour pallier aux absences.
- Être considéré comme un cadre sur ces 3 heures de travail, avec une prime de 150 euros nets sur le salaire (pas d'excuse "je n'ai pas eu le temps" si les tâches ne sont pas accomplies).
- Choisir les postes qui leur conviennent le mieux et coopter leurs pairs.
- Proposer d'ajouter une heure de réflexion par mois pour résoudre les problèmes sans que cela empiète sur la réflexion clinique, avec la possibilité de m'inviter si nécessaire.
- La participation est volontaire, personne n'est obligé d'y prendre part, et cela ne doit pas affecter la qualité de l'accompagnement des résidents.
Je leur ai laissé deux heures pour réfléchir à tout cela et me faire part de leur proposition à la fin de ce délai.
Résultat
Au bout de deux heures, ils ont élaboré un plan détaillé, plein d'énergie et de propositions. Ils ont amélioré le dispositif en le considérant avec le professionnalisme de personnes expérimentées sur le terrain. Sept personnes sont enthousiastes, une personne l'est beaucoup moins mais ne souhaite pas s'exclure du dispositif (elle quittera son poste un an plus tard en démissionnant).
Le début de l'aventure
Nous avons décidé d'une période d'essai de 6 mois avec une évaluation détaillée renouvelable tous les 6 mois. Au bout d'un an, nous avons validé ce modèle de travail collaboratif, en ajoutant un avenant au contrat qui spécifie que chaque partie pouvait se retirer de cet engagement avec un préavis d'un mois.
Évolution de l'expérience
Au bout des six premiers mois, l'équipe m'a demandé de les aider à mieux structurer le processus. Il y avait des zones grises et quelques abus mineurs, que nous avons résolus ensemble tout en continuant à progresser.
Après un an, nous avons validé cette formule de travail collaboratif.
Résultat de l'expérience :
- La personne qui se plaignait le plus des plannings lorsqu'il y avait un chef de service a rejoint "l'équipe planning" et a admis : "Je ne savais pas que c'était si compliqué de satisfaire tout le monde !"
- Les membres de l'équipe se sont associés à des postes que je n'avais pas du tout imaginés d’où l’intérêt que cela soit leur choix propre et donc leur engagement dans ce choix.
- Parfois, de vieux conflits entre l'équipe et la direction ont refait surface, mais je n'ai pas laissé place à cela, en insistant sur notre collaboration pour résoudre les problèmes.
- Les personnes les moins confiantes et les moins assurées au sein de l'équipe ont gagné en compétence et en confiance. Deux d'entre elles ont même demandé à passer une Validation des Acquis de l'Expérience (VAE) pour devenir éducateurs spécialisés, bien qu'elles aient été embauchées comme AMP.
- La secrétaire est devenue une collaboratrice de confiance en tant que cadre.
- Les plaintes ont considérablement diminuées, et la responsabilité partagée dans le travail a émergé.
- Les résidents ont gagné en sérénité, car ils sont maintenant encadrés par une équipe énergique qui répond au mieux à leurs besoins.
- Pour couronner le tout, cette nouvelle approche a généré des économies, car cela coûte moins cher que d'employer un chef de service expérimenté.
Comme vous le savez, il n'y a jamais de solution unique, mais notre travail consiste à chercher la meilleure réponse. Cette approche a satisfait l'équipe, qui l'a adoptée avec enthousiasme, et elle a été source d'amélioration dans notre travail.
Cette expérience a été mon dernier défi en tant que directrice, et le succès de ce projet m'a incité à travailler avec d'autres organisations pour promouvoir cette réflexion sur un management innovant. Cela nous permet de répondre différemment aux nouvelles exigences de notre secteur et de redonner un sens au travail des cadres et des accompagnateurs.
Dina Abitbol
Consultante et formatrice, gérante d'ABI'SENS, j'écris et livre mes réflexions autour de la position d'accompagnateur au sein du secteur médico-social.
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